Partie 1. Il vaticano.

Othello réajuste ses lunettes, puis agrippe lentement la tasse de porcelaine par la hanse, tentant tant bien que mal de ne pas faire de geste abrupte, et la renverser. Ses mains tremblent, quand bien même il porte enfin le thé à sa bouche, et y trempe ses lèvres. Ces derniers temps, il n'est pas aussi adroit qu'à son habitude. Cela fait plusieurs jours qu'il ne dort pas. Qu'il ne se nourrit pas. La chaleur du Earl grey qu'il ingurgite a quelque chose de rassurant. Il sent son coeur battre au fond de sa poitrine. Chaque battement fait écho au son de l'horloge qui se trouve juste derrière lui. Tic, tac. Le temps passe, et son impatience grandit. Il ignore pendant combien de temps encore il parviendra à garder le silence. Il a entendu parler de cette organisation en poursuivant ses étranges recherches. Les Archivistes. D'après ses lectures, ils restent essentiellement des érudits et des observateurs. Leur devise est inscrite sur chacun de leurs mémoires: Chercheurs du paranormal nous observons. Et sommes toujours là. Et dire qu'autrefois, le biologiste se riait de ces histoires de fantômes. Il les jugeait absurdes, farfelues, dignes des fantasmes les plus déséquilibés de l'humanité. Sa vision du paranormal a bien changé depuis qu'il a fait une découverte extraordinaire. Il a vu de ses propres yeux le fruit d'une science qui lui est inconnue, et dont il ne saisira probablement jamais toute la teneur. Miracle, magie, le nom lui importe peu. C'est quelque chose qu'il n'explique pas, et qui pique sa curiosité encore et encore, en un tourbillon de questions qui ne s'arrêtent pas même lorsqu'il s'enlise dans ses songes.

Il se souvient encore parfaitement avoir suivi sa première trouvaille jusqu'à chez elle. Une part de lui est toujours rongé par la culpabilité. Elle n'a pas compris qu'il cherchait simplement à savoir, à comprendre ce qu'elle était. Il est entré, s'est approché d'elle, et c'est elle qui lui a tiré un coup de fusil à la jambe. Il l'a assommée, puis la tentation était trop forte. Elle lui s'était offerte à lui sur un plateau d'argent. Là, au milieu de son salon, il lui a ouvert le crâne. Disséquée la sorcière, son évisceration était pour lui tant attendue. Il s'apprêtait enfin à observer de ses yeux la source d'un mystère rapidement devenu obsession. Il examina chaque parcelle de son corps au peigne fin, prenant soin de récupérer son sang dans plusieurs flacons. Pauvre petite chose, elle avait seize ans, tout au plus. Cet accident avait, pour Othello, été motivé par la peur d'être poursuivi par cette adolescente qu'il jugeait potentiellement dangereuse. Paranoïa à moitié justifiée. Ses pistes ne lui ont attiré que des ennuis. Une fois ses photographies et prélèvements d'organes fait, il a encore préféré se débarrasser du corps.

Pourtant, si elle est toujours là, à bout de souffle. Ses poumons, sous ses deux jolis seins roses, sont comme deux ballons de baudruche dégonflés. Cela fait des jours qu’ils n’ont pas absorbé la moindre particule d’oxygène. Mais elle est toujours là, haletante, six pieds sous terre. Recouverte de près de quatre mètres de terre boueuse. Othello l'entend agoniser, comme un murmure lancé dans le vent. Elle gémit juste assez fort. Elle tente de percer la commissure de ses lèvres d’un hurlement, mais elle n’en a plus la force, plus maintenant. Sa douleur n'est pas tombée dans les oreilles d’un sourd. Les faibles vibrations de ses cordes vocales sont devenues une torture pour celui qui écoute, perpétuellement, sa lithanie. Malgré les cicatrices, elle avale la poussière, les pissenlits, les vers, consciente. Elle sait ce qu'il a fait, et elle sait qui il est. Elle a vu son visage, et menace de dévoiler sa véritable identité. Othello manque d’air, à son tour. Il asphyxie et tombe inconscient au sol, le visage face à celui de sa victime. On se croirait dans un de ces romans de Truman Capote. Non, il ne peut pas se laisser ronger par ses démons. Par la sorcière qui a été assassinée. Il éclate de quelques sanglots, les seuls qui puissent lui échapper dans son état… La tension s’intensifie lorsqu’il rouvre les yeux, pour découvrir qu'il a rejoint le cercueil de la jeune femme. Inconsciemment, Burrows s’est enterré avec la macchabée. Un frisson lui parcoure l’échine, quand il s’aperçoit que ses deux yeux globuleux et accusateurs le dévisagent. Il voit son corps démantelé s'approcher du sien avant de s’éloigner…

Crise cardiaque.

Réveil.

"Othello, est-ce que tout va bien ?" Le jeune homme revient à lui peu à peu. L'accent italien de son vis-à-vis est parvenu à l'extirper de son cauchemar. "Oui... Excusez-moi." Il se rend compte que sa tasse est à présent brisée sur le sol. "Ne vous en occuper pas, nous allons vous offrir un autre thé. J'ai cru comprendre que vous étiez à la recherche de votre père ?" Burrows se redresse et hoche de la tête, les lèvres pincées. Les conversations téléphoniques qu'il avait eu avec le professeur Falcone l'ont pour le moins intriguées. "Il est ici, à Rome. Je vais vous donner son adresse, mais je vous conseille de vous tenir à l'écart. Comme je vous l'expliquais, il n'est pas tout à fait sain d'esprit. Parfois, il vaut mieux ne pas savoir d'où on vient."

Partie 2. Il nulla.

On l'avait prévenu, on lui avait dit de ne pas s'y rendre. Pourtant, une vie de mensonge ne lui semblait pas adéquate. Il n'imaginait en rien ce qu'il s'apprêtait à voir à l'asile, cette nuit-là. Son père. Un prêtre. Un fou. Un sombre inconnu que personne ne rêverait de connaître, pas même dans les situations les plus désespérées. Tant de mots lui vinrent à l'esprit, pourtant il ne comprit que plus tard que ce n'était pas à la folie que le prêtre avec cédé. Son géniteur était atteint d'un cas de possession rare... Une malédiction dont il ignorait tout. La mise en garde de Falcone prit tout son sens lorsque quelques jours après sa rencontre du troisième type. "Il faut qu'on divulgue ces informations à la communauté scientifique, ce sont des découvertes époustoufflantes." "Othello, tu joues avec le feu." Jouer avec le feu... ce scientifique trop curieux commença à comprendre la nature même de la folie au moment où le prêtre lui en fit l'éloge, se masturbant de la plus obscène des façons face à lui, avant de lui vomir au visage. Pour sûr, cette enquête sur son passé ne lui avait apporté qu'une chose, et une seule: le mauvais oeil, le démon avec un grand D. Sa descente aux enfers ne faisait que commencer, et il en avait parfaitement conscience. Dévoiler la vérité au monde, lui-même ne savait plus s'il le pouvait. Quand bien même il pensait dominer ces êtres qu'il s'était amusé à disséquer pour le bien de la biologie, il sentait que l'ombre commençait à l'avaler dans son abysse, et déjà il ne pouvait plus y échapper.