Tu as vu le jour dans l'océan méditerranéen... eaux profondes, eaux chaudes et accueillantes, eaux bienveillantes et réconfortantes. Tu as vu le jour il y a des siècles, à l'époque où les hommes vouaient un culte aux femmes rondes et non à la minceur. A une époque où l'on troquait la nourriture pour de l'argent et où les hommes semblaient, certes plus pauvres, mais plus heureux qu'ils ne l'ont été aux cours des siècles qui ont suivi. Tu as vu le jour dans un océan béni par les dieux et sauvegardé par l'Homme, à une époque où les croyances étaient plus fortes que la raison et où l'Homme vénérait un Dieu qui, tu le sais, ne veillait déjà plus sur sa progéniture. Tu es née dans un monde riche de légendes, de comtes et de mystères... baignée dans une atmosphère étouffée par la magie et l'angoisse. Tu as vu l'Homme craindre les sorcières, les enfants du diable... tour à tour, tu l'as vu accroître ton pouvoir et jouir de son libre arbitre sans prendre en considération la nature telle que leur Dieu, salvateur, la leur avait laissée. Oui, tu as vu l'Homme évoluer, grandir, sans pour autant jamais réussir à le comprendre. Car tu es née à une époque où l'on estimait que la nature était source des plus grands miracles et que marcher sur elle revenait à trahir le Dieu qui nous en avait fait offrande !

Alors tu as grandi, entourée de tes soeurs et de ta mère. Toi, petite sirène, fille de Poséidon, fille de l'océan. Les deux premiers siècles de ton existence se sont déroulées sous les traditions les plus ancestrales de ton espèce... ta mère, en enfantant, avait perdu le don de l'immortalité. Et les trente ans qui suivirent ta naissance, elle t'accompagna dans ta croissance et ton évolution. Ton espèce est régie par des règlementations simples et sans équivoques. Lorsqu'une sirène met au monde une autre sirène, elle perd son don d'immortalité pour accompagner sa progéniture dans les premières années de son existence. On dit également que lorsque la mère meurt, de vieillesse et de fatigue, le don d'immortalité apparaît chez sa fille. L'âge qu'atteint une sirène physiquement avant de ne plus vieillir dépend donc de la période durant laquelle existe encore sa mère après avoir enfanté. La tienne est morte lorsque tu atteins tes quarante-sept ans. Tu t'en souviens car, un matin, elle s'est rendue près d'une berge et a quitté les eaux territoriales et chaude de la mer pour se glisser sur un rocher. A distance, tu l'as observé s'éteindre en chantant avant de finalement disparaître en écume, se mélangeant à l'eau qui l'avait vu naître. Votre espèce, bien différente de celle dépeinte par l'Homme, existe depuis la création des océans et vit en parfait harmonie avec le monde sous-marin. Néanmoins, pour sa sauvegarde, votre père à tous, Poséidon, vous a doté de quatre dons très spéciaux ;

01. marcher hors de l'eau tu pourras, une fois la maturité tu atteindras.
02. maîtriser l'eau sera un fardeau,
03. et l'immortalité ton cadeau.
04. époustouflante beauté et voix enchanteresse, voilà tes promesses.

Ainsi donc, tu as continué de grandir loin du monde des Hommes, à l'abri, au fond des océans. Perdre sa mère n'est une douleur pour aucune des vôtres, bien au contraire. Cette perte marque en générale le début de votre propre existence. La vie prend son sens et tu t'éveilles à sa superbe, à ton indépendance. Sirène, déesse des abysses, tu nages et découvres le monde. Ta rapidité, loin d'être surfaite, te permettra de parcourir le globe sans te fatiguer. Deux siècles durant, tu arpenteras les mers à la recherche des tiens, et de ce que le monde peut t'offrir. Deux siècles à observer l'Homme depuis le fond des mers, à voir passer les bateaux à les approcher le plus près possible. La majorité chez les sirènes s'atteint à deux cents ans... lorsque c'est chose faite, il est dans l'ordre des choses que vous choisissiez votre premier lieu d'ancrage ; ces terres que vous foulerez pour la première fois de votre existence.

Tu te souviens avoir posé tes valises en Egypte, non loin du Caire ! Toi, tu admirais ce peuple en cachette et souhaitais plus que tout observer de près leurs constructions immortelles et magnifiques. Alors, tu as quitté le confort de ta queue de poisson et des eaux qui t'avaient si longtemps accueillies pour poser un pied à terre. Délicatement, doucement. Nue, tu étais tombée à plusieurs reprises avant d'apprendre à maîtriser avec intelligence ces deux appendices que les Hommes appelaient des jambes. Accompagnée de sirènes plus âgées, tu avais alors appris à te fondre dans la foule en prétendant n'être qu'une Humaine, toi aussi. Ce monde t'attirait, ce monde t'excitait et nourrissait tes fantasmes les plus princiers. Oui, tu voulais en faire partie, tu voulais y appartenir tout autant que tu souhaitais vouer ta vie à l'océan. Mais l'Homme a cet aspect défiant qui, avec le temps, crèvera ton coeur si souvent que tu nourriras à leur égard une rancoeur sans borgne et sans failles.

Créature mystique parmi les être de chair et de sang, tu voyais les démons et autres légendes comme des faits réels sans pour autant dévouer ton existence à les trouver. Tu t'occupais, à cet instant-là, que de sauvegarder ton espèce. Car une sirène, une fois la majorité atteinte, doit parcourir les Terres pour trouver un homme qui acceptera de l'enfanter. Une étape plutôt compliquée car, l'Homme en question meurt systématiquement, durant l'acte sexuel. Évidemment, votre père à tous vous avait doté d'une magnificence à toute épreuve. Tous les sirènes possèdent un physique affriolant et une voix tout à fait charmante et attirante. Comme dans les comtes, elles s'en servent pour attirer leur proie. Quant à toi, tu mettais du temps à te décider et puis, les années s'écoulèrent et les siècles passèrent.

Tu as passé le restant de ta vie à voir l'Homme se déchirer, se faire la guerre et s'entre-tuer pour le pouvoir... Tu as passé le restant de ta vie à observer l'Homme détruire ce que leur Dieu leur avait donné, bafoué les règles du libre-arbitre pour faire de cette Terre un refuge pour le chaos et la désolation. Tu as vu l'Homme se tuer pour des raisons si futiles, si légères, sans importances... et sa foie en Dieu qui s'estompe, sa foie en ses légendes... Tu as vu l'Homme cesser de croire au mystique pour se vouer à la sciences, vouloir des preuves du tangible sans chercher à convaincre sa progéniture de la beauté des légendes et des comtes. Tu as vu l'Homme changer, le Monde changer et toi... tu en as perdu ta foie en l'Homme.

Au cours des siècles qui suivirent ta majorité, tu as passé ton temps à voyager, à décimer, à tuer et à te venger. L'océan pleure, la Terre tremble et le ciel s'effondre. Petite sirène au milieu des gangsters, tu as participé au deux Guerres Mondiales en tuant dans les deux camps. Tu étais présente lors de toutes les guerres connues par l'Homme, terrée dans un coin sombre, à attendre sagement de pouvoir user de tes pouvoirs pour violer, briser, tuer l'être humain autant qu'il l'avait fait pour toi. L'Homme n'était plus, n'existaient aujourd'hui sur Terre que des rébus de ce que l'humanité avait un jour été. Ô dieu tout puissant des mers ce que tu pouvais les haïr pour ce qu'ils étaient... alors plutôt que de chercher celui qui voudrait t'enfanter, tu as cherché à protéger les tiens en tuant pour simple vengeance.

Et puis, vient un moment où tes muscles souffrent et où ton moral se brise, également. Grande prêtresse des eaux, duchesse des fonds marins, tu as donné ta vie à défendre l'honneur de ton espèce, de ton peuple. Aujourd'hui, lasse des guerres et des tourments causés par l'Homme, tu cherches celui qui acceptera de t'enfanter pour, à ton tour, perdre don d'immortalité et pouvoir, tu l'espères, reposer à jamais en paix dans l'écume des jours, l'écume des mers.

Quand j'observe ce monde auquel tu veux absolument appartenir, tout ce que je vois c'est six milliards de dingues qui cherchent un raccourci vers la sortie. Ils sont tous cinglés. Regarde-les, tout le monde boit, fume, se drogue. Ils se tirent les uns sur les autres ou bien ils se font tout bonnement sauter la cervelle pour ne plus voir ça. Et c'est moi la cinglée ? Chérie, je suis la seule borgne dans ce royaume d'aveugles parce que moi j'admets volontiers que ce monde me rend dingue. btvs